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12 août 2009 3 12 /08 /août /2009 23:29
Lorsque Vincent Van Gogh arrive à Paris pour la seconde fois, en 1875, Millet vient de mourir. La vente aux enchères de l’atelier du peintre de Barbizon est passée. En revanche, près d’une centaine de ses pastels sont exposés à l’hôtel Drouot. De là date la rencontre picturale, vécue par Van Gogh comme un éblouissement qui lui fera écrire plus tard à son frère Théo : "Millet, c’est Millet le père, c.-à-d. qu’il est guide et conseiller en tout pour les jeunes peintres." Mais Van Gogh n’est encore que l’employé de la galerie Goupil et Cie, s’essayant péniblement au commerce d’art dont il exècre la malhonnêteté. Il y échouera, comme ensuite à son emploi de commis en librairie puis à ses études de théologie.

En 1884, il confie: “Pour moi, Millet est le peintre essentiellement moderne grâce à qui l’horizon s’est ouvert devant beaucoup...

Van Gogh, alors qu’il n’était âgé que de 22 ans, après avoir assisté à la vente de 95 pastels de Millet à Drouot, écrivait à Théo: “Quand je suis arrivé dans la salle où étaient exposées les œuvres de Millet, j’ai éprouvé quelque chose dans le genre de “Déchausse-toi, le lieu que tu foules est sacré...

Ci-dessus, quelques commentaires de Vincent Van Gogh à propos de Jean François Millet, son maître, qu'il appelle le père, glanés sur internet et dont la source est à retrouver...

Et ci-dessous,
une compilation d'extraits des "Lettres à son frère Théo", relu dernièrement. (Edition L'imaginaire - Gallimard)

Novembre 1978 - octobre 1880 - le Borinage
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Tu te rappelles peut-être bien que j'ai su (et il se peut que je le sache encore), ce que c'était que Rembrandt, ou ce que c'était que Millet, ou Jules Dupré, ou Delacroix... Bon, maintenant, je n'ai plus cet entourage là - pourtant ce quelque chose qui s'appelle âme, on prétend que cela ne meurt jamais, et que cela vit toujours et cherche toujours et toujours, et toujours encore.

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Ce serait donc un malentendu si tu persistais à croire que par exemple maintenant je serai moins chaleureux pour Rembrandt, ou Millet, ou Delacroix, ou que ou quoi que ce soit, car c'est le contraire; seulement voyez-vous, il y a plusieurs choses qu'il s'agit de croire et d'aimer, il y a du Rembrandt dans Shakespeare, et du Corrège en Michelet, et du Delacroix dans V. Hugo, et puis il y a du Rembrandt dans l'évangile ou de l'évangile dans Rembrandt, comme on veut, cela revient plus ou moins au même, pourvu qu'on entende la chose en bon entendeur, sans vouloir la détourner en mauvais sens et si on tient compte des équivalences des comparaisons, qui n'ont pas la prétention de diminuer les mérites des personnalités originales. Et dans Bunyan il y a du Maris ou du Millet et dans Beecher-Stowe il y a du Ary Scheffer.

Cuesmes, 24 septembre 1880
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J'ai un peu étudié certains ouvrages d'Hugo cet hiver dernier, soit Le dernier jour d'un condamné, et un très beau livre sur Shakespeare. J'ai entrepris l'étude de cet écrivain depuis longtemps, cela est aussi beau que Rembrandt. Shakespeare est à Charles Dickens ou à V. Hugo, ce que Ruysdaël est à Daubigny, et Rembrandt à Millet.

Etten, avril 1881 - décembre 1881
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Le père Millet ! A-t-il dû faire face à plus de dépenses que tant d'Italiens et d'Espagnols qui "vivent dans le désert où le ciel est de cuivre et le sol de fer" ? Est-ce qu'une épouse coûte plus cher qu'une maitresse? Vous payez tout de même les maitresses, messieurs les marchands d'art, et ces dames se moquent de vous derrière votre dos.

La Haye, décembre 1881 - septembre 1883

Je trouve vrai la réflexion du père Millet: Il me semble absurde que les hommes veuillent paraître autre chose que ce qu'ils sont.

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Je recopie quelques phrases extraites du Millet de Sensier, qui m'ont profondément frappé et ému; ce sont des mots de Millet: "L'art c'est un combat, -dans l'art, il faut y mettre sa peau. Il s'agit de travailler comme plusieurs nègres: j'aimerais mieux ne rien dire, que de m'exprimer faiblement."
C'est seulement hier que j'ai lu cela, mais j'avais déjà éprouvé la même chose auparavant.

181
Il est suprêmement indélicat de la part d'un critique d'aller pêcher de quoi critiquer dans la vie privée d'un homme, dont l'oeuvre ne prête à aucune critique. De Groux est un maître, de même que Millet et Gavarni."

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"Vous m'avez laissé tomber quand j'étais aux prises avec les difficultés, mon ami, je ne vous connais pas, allez-vous en , car vous me cachez la lumière." Mon dieu, de quoi aurais-je peur, que m'importent les "déplaisant" et les "invendable" de Tersteeeg ? S'il m'arrive de perdre courage, je contemple Les bêcheurs de Millet, Le banc des pauvres de de Groux, et Tersteeeg devient alors si petit, si petit! Tous ces commérages me paraissent si mesquins que je retrouve ma bonne humeur, allume ma pipe et me remets à dessiner.

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A cette époque-là, j'étais en proie à une mélancolie indicible. Je me souviens avoir souvent pensé à la parole virile du père Millet : Il m'a toujours semblé que le suicide était une action de malhonnête homme. Le vide, la misère intérieure m'ont alors amener à penser : oui je comprends que certains se jettent à l'eau.

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Même quand j'étais assis près d'elle à l'hôpital, j'éprouvais quelque chose comme la poésie éternelle de la nuit de noël, telle que les anciens maîtres hollandais l'ont représentée, ainsi que Millet et Breton : un enfant dans une étable, une lumière dans l'obscurité, une clarté au milieu de la nuit. Aussi ai-je accroché au-dessus du berceau une grande gravure d'après Rembrandt où l'on voit deux femmes auprès d'un berceau : l'une lit la bible à la lueur d'une bougie, tandis que de grandes ombres plongent toute la pièce dans un profond clair-obscur. J'y ai accroché également d'autres gravures particulièrement belles, notamment Christus Consolator  de Scheffer, la reproduction photographique d'un Boughton, Le Semeur et Les Bêcheurs de Millet...   

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Je trouve vraie la réflexion du père Millet : Il me semble absurde que les hommes veuillent paraître autre chose que ce qu'ils sont.

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Enfin, c'est une personnalité, mais je préfère quand même lire la biographie du père Millet, de Th Rousseau ou de Daubigny. Quand on lit l'ouvrage de Sensier sur Millet, on se sent encouragé, tandis que la lecture de celui de Bilders laisse une impression navrante.
Il est vrai que toutes les lettres de Millet débordent de l'aveu des difficultés, mais il ajoute aussitôt j'ai tout de même fait ceci ou cela et il fait alors allusion à ce qu'il voudrait faire à tout prix, et il y arrive en fait.
Je trouve que G. Bilders écrit trop souvent des phrases comme celle-ci : j'ai eu le cafard cette semaine et j'ai barbouillé - j'ai assisté à tel concert ou à telle comédie et j'en suis revenu encore plus cafardeux. Ce qui me frappe dans Millet c'est cette simple phrase : il faut tout de même que je fasse ceci ou ça.
Malgré le ton spirituel, tout cela m'ennuie; j'ai plus de respect pour les difficultés d'ordre privé de Millet, qui dit: il faut tout de même de la soupe pour les enfants, sans parler de manillas pointus ni d'autres amusements.

301
Théo, dépenser plus d'argent qu'on n'en reçoit n'est pas bien, mais à choisir entre interrompre le travail et le continuer, je choisis de travailler jusqu'au bout.
Millet et d'autres précurseurs ont persévéré sans craindre l'huisier, quelque uns ont même été en prison, ou ils ont dû chercher un gîte à gauche ou à droite, mais ils n'ont jamais interrompu leur travail, autant que je sache.
Quand à mes difficutés, ce n'est qu'un début, car j'en vois surgir en foule dans le lointain comme une grande ombre noire; cette pensée entrave parfois mon travail.

332
Il existe ici des spécimens singuliers de pasteurs dissidents, qui ont des gueules de cochon et portent des bicornes. On rencontre également beaucoup de juifs qui adoptent une attitude éxécrable, quand on les distingue parmi les individus à la Millet, dans la bruyère naïve et mélancolique. Por le reste, ils sont tout à fait vrais; j'ai voyagé en compagnie d'une bande de juifs qui discutaient théologie avec quelques paysans. On serait tenté de se demander comment des choses aussi absurdes sont possibles dans un pays comme celui-ci...

Arles 21 février 1888 - 6 mai 1889
520
C'est la bonne chaleur qui me rend mes forces, et certes je n'ai pas tort d'aller maintenant dans le midi, au lieu d'attendre jusqu'à ce que le mal fût irréparable. Oui je me porte aussi bien que les autres hommes maintenant, ce que je n'ai pas eu que momentanément à Nuenen par exemple , et cela n'est pas désagréable. Par les autres hommes j'entends un peu les terrassiers grévistes, le père Tanguy, le père Millet, les paysans; si l'on se porte bien il faut pouvoir vivre d'un morceau de pain, tout en travaillant toute la journée, et en ayant encore la force de fumer et de boire son verre, il faut ça dans ces conditions. Et sentir néanmoins les étoiles et l'infini en haut clairement. Ah! ceux qui ne croient pas au soleil d'ici sont bien impies.

600
Quelle histoire que cette vente Sécretan! Cela me fait toujours plaisir que les Millet se tiennent. Mais combien désirerais-je voir davantage de bonnes reproductions de Millet, pour que cela aille au peuple.
L'oeuvre est surtout sublime considérée dans son ensemble et de plus cela deviendra difficile de s'en faire une idée, alors que les tableaux se dispersent.

605
Pour réussir, pour avoir prospérité qui dure, il faut avoir un autre tempérament que le mien, je n'en ferai jamais ce que j'aurais pu et dû vouloir et poursuivre.
Mais je ne peux vivre, ayant si souvent le vertige, que dans une situation de quatrième, cinquième rang. Alors que je sens bien la valeur et l'originalité et la supériorité de Delacroix, de Millet par exemple, alors je me fais fort de dire : Oui, je peux quelque chose. Mais il me faut avoir une base dans ces artistes-là, et puis reproduire le peu dont je suis capable dans le même sens.

Auvers sur Oise 17 juin 1890
642
Certes l'avenir est bien dans les Tropiques pour la peinture, soit à Java, soit à la Martinique, le Brésil ou l'Australie, et non pas ici, mais tu sens qu'à moi il ne m'est pas prouvé que toi, Gauguin ou moi, soyons ces gens d'avenir-là. Mais certes encore une fois, là et non pas ici, un jour probablement proche, on verra travailler des impressionnistes, qui se tiendront avec Millet, Pissarro. Croire à cela c'est naturel, mais y aller sans les moyens d'existence et de rapport avec Paris un coup de tête, alors que des années durant on s'est rouillé en végétant ici.

Un mois plus tard, le 27 juillet 1890, Van Gogh se tire une balle dans la poitrine.

Fin de l'histoire, début du mythe.

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