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15 août 2009 6 15 /08 /août /2009 18:26
Elle fut ma Gradiva, la guérisseuse des épouvantes, la conquérante de mes délires, l'amante aimant de mes forces verticales. Elle est Leda, la mère. Elle est Hélène, soeur immortelle de Pollux-Dali dont le Castor est ce frère génial que j'eus et qui se prénomma aussi Salvador...

Gala est encore un Sphinx, mais secourable, qui au lieu de m'interroger, interroge pour moi les énigmes et détient dans sa chair les réponses. C'est pourquoi je décrirai ma passion à partir d'un point minuscule de son corps de femme : un grain de beauté. Ce grain de beauté, situé sur le lobe de l'oreille gauche de Gala, est le lieu de concentration de ma vie affective dominée par le drame du père. J'ai dit souvent que mon père était à la fois Moïse, Guillaume Tell et Jupiter mais je ne me suis jamais bien expliqué sur les origines de mes traumatismes. Mon père m'a infligé dès ma naissance, par excès d'amour qui ne s'adressait pas à moi mais à mon frère mort, une blessure narcissique par où ma raison faillit s'engouffrer et que mon génie est parvenu, aidé par Gala, non à fermer tout à fait mais à utiliser positivement.

Je naquis double. Mon frère, premier essai de moi-même, génie extrême et donc non-viable, avait tout de même vécu 7 ans avant que les circuits accélérés de son cerveau ne prennent feu. C'est à cause de ce Salvador que j'étais le bien-aimé que l'on aimait trop. Il n'existe pas, pour le petit enfant, de choc plus catastrophique que le trop amour, et ce trop amour-à-cause-d'un-autre-moi-même, j'allais le ressentir avec la violence et l'étendue que permet le monde symbiotique et indifférencié des premières années...

J'étais un après-midi avec Gala dans l'atelier de Picasso. Il était pour elle d'une gentillesse exceptionnelle. Evénement rarissime, il alla jusqu'à lui faire cadeau d'un tableau. Invitée à choisir, elle désigna par discrétion la plus petite des toiles cubistes. Comme elle se penchait pour prendre celle-ci, Picasso lui saisit l'oreille entre le pouce et l'index et s'exclama : "Mais vous avez exactement le même grain de beauté que moi!" Je m'approchai. Je touchais ces deux oreilles. Je sentis ce même relief. Immédiatement, j'éprouvai un tressaillement, je sus que je tenais la preuve glorieuse de la légitimité de mon amour. De retour chez moi, dans un état d'enthousiasme, je me persuadai que ce grain ne pouvait que correspondre à une intersection des lignes de la section dorée et je n'eusse de cesse de vérifier cette intuition viscérale. Je me plongeai dans les travaux du prince roumain Matila Ghyka, professeur d'esthétique à l'université de Californie du sud. J'eus des conversations avec lui et je lus sa géométrie de l'art et de la vie. Je retournai à Fra Luca Pacioli, ami de Léonard de Vinci et père de la divine proportion. Je découvris dans les tracés de régulation de Matila Ghyka, sur le visage d'une suédoise, le point de croisement exactement situé sur l'oreille gauche du grain de beauté de Gala et de Picasso. Je m'acharnai à découvrir la légitimité du mot: grain de beauté. Les anciens, nourris de la science platonicienne des formes idéales, n'avaient-ils pas vu, dans certains grains, des points de repères de l'harmonie parfaite ? Ainsi, ce minuscule relief sur le lobe de l'oreille de Gala reliait mon amour à la passion du père et à la passion esthétique: à la puissance fondamentale et à la beauté absolue. Il prenait donc une valeur sacrée et, en touchant cette petite tache brune, je prenais une vive conscience de la cohérence de ma vie et de l'universalité de sa signification. Enfin, poussant à fond ce délire éclairé, je voulais voir dans ce grain de beauté, point de fixation des structures de ma personnalité, l'habitat de mon frère mort et le lieu de condensation de l'énergie biologique, un noyau glorieux de la matière vivante...

On ignore encore davantage comment apparaît le bronzé en relief du grain de beauté. J'imagine qu'un soleil intérieur, privilège des natures d'exception, imprègne du dedans cette couche germinative, se manifestant ainsi en surface par un grain de beauté, signature des architectures divines. Bien entendu, des individus ordinaires peuvent posséder une grande quantité de grains, jetés au hasard, éparpillés de manière prosaïque. Mais chez des êtres de texture psychique exceptionnelle, les grains seraient le reflet de ce soleil intérieur, de ce Dieux en eux... Je me demande si ce pattern invisible et présent ne pourrait, chez certains humains très glorieux, se trouver contenu et résumé dans un seul grain de beauté indicateur de la section dorée. Ainsi dans mon délire constamment alerté ai-je peut-être découvert une signalisation universelle, un diagramme de la personnalité divine, la carte d'identité angélique de l'humain.

Il y a moins de folie dans ma méthode que de méthode dans ma folie, et c'est pourquoi j'ai continué de dire que la seule différence entre un fou et moi est que je ne suis pas fou.  Il était d'une logique toute monarchique, à l'intérieur de mon système, que je trouve, sur la peau suave de l'oreille de Gala, le sceau, le cachet de l'authenticité de ma passion, et, sous forme de cette pastille sacrée, l'hostie de la communion paternelle. Découvrir un tel signe sur Gala et sur Picasso me conduisait à une reconnaissance totale de moi-même et à la régularisation de mes hantises et vertiges. J'y voyais de surcroit, l'étoile du génie de mon frère mort, moi qui naquis double. J'y voyais le point de clôture de ma personne et le point central de mon génie. Enfin, l'inconscient dalinien faisant apparaître Leda, la mère cosmique des jumeaux divins, je puis fermer la boucle et me permettre de posséder en toute légitimité, mon père, mon frère, ma mère et la beauté. Ce grain de beauté, qui clôt le corps de Gala, clôt mon espace intérieur.

Que ma passion pour Gala se concentre sur ce point n'est pas seulement un effet de la réflexion. D'ailleurs, la réflexion n'est jamais, chez moi, une activité pure, mais une analyse et une hiérarchisation des pulsions internes. Dans la mesure où je suis un mystique espagnol, je suis un hyperréaliste, partant du concret pour y revenir, et je n'aurais pas été en alerte si ce grain de beauté n'était, précisément, la partie du corps de Gala que j'aime le plus toucher. Sans cesse mes doigts se portent voluptueusement vers son oreille, et ce geste est inséparable de la plupart de mes méditations.

Je rappelle que dans l'annonciation, qui est l'histoire de l'Angélus, c'est par l'oreille de Marie que le verbe de Dieu pénètre en elle. Ce long extrait du premier chapitre du Dali-Pauwels intitulé "Les passions selon Dali", a donc ici toute sa place, dans un grain de beauté particulièrement bien placé.
Et les fragments ci-dessous sont extraits du même ouvrage à 2 têtes, où il est encore question de son frère mort.
..

Me venger d'être trop aimé? M'affirmer pour effacer le souvenir de mon frère mort? J'étais le type même du pervers polymorphe. Je jouissais d'infliger des supplices à mon entourage, et mes premières années furent marquées par une anomalie freudienne caractérisée : le plaisir suraigu de retenir mes crottes.

Enfant, à la vue d'un drap noir, mes cheveux se dressaient, la peur m'entrait dans le ventre. Je tremblais si l'on me parlait d'aller au cimetière voir mon frère. La nuit venue, je ne  pouvais traverser la chambre de mes parents, à cause du portrait de ce frère et de la reproduction du christ de Velasquez. Si la mort m'exalte maintenant, c'est que l'horreur qui s'y attache naturellement est allée au tout-à l'égout; je l'ai digérée et rejetée, m'étant beaucoup nourri d'images lugubres.

...et du plaisir de la sublimation :

Une énorme déception, un froid abyssal, se sont abattus sur l'assemblée. Mais enfin, nul n'a protesté, chacun s'est incliné devant l'apparition d'une mystérieuse impossibilité. Ils sont partis, la glace dans le coeur. Et moi, je suis resté seul dans cette nef des fous, au milieu des fumées colorées, admirant ce miraculeux échec, pleurant de joie devant ce sabotage gigantesque, dans un état de jubilation maximal.

Mais je répète que la perversion sublime et le plaisir le plus aigu, celui qui étire mes lèvres et les retrousse, est dans l'annulation brusque du désir, l'arrêt inattendu, l'échec. Je pense aujourd'hui que mon érotisme n'est pas sans liaison avec la vieille influence cathare, la mystique des troubadours et de l'amour courtois, les jouissances de la non-consommation, les spiritualisations de l'acte par privation, la remontée des énergies de l'orgasme vers le cerveau, l'inversion du flux pour un éblouissement cérébral, bref tout ce qu'a étudié René Nelli. Des grands orgasmes intellectuels à partir de presque rien tangible. Un maximum de désir pour un minimum de consommation. Le désir comme valeur transmutante : mon foutre intériorisé qui rejaillit à la pointe de mon pinceau.
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commentaires

H
<br /> <br /> Bravo belle collection sur l'angelus. Je vous envoie ce petit mot pour m'aider a retrouver l'origine de ma tapisserie (certainement sur un paravent ) elle est d'origine mais je  n'en connait<br /> pas plus.la scene est entourée de fleurs de lys.merci est bien a vous.<br /> <br /> <br /> <br />
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