Délocalisé
A l'occasion du passage de 2009 à 2010, en repérage dans le Sud Maroc, à Tiznit et les alentours, sur la côte Atlantique, à 200 kilomètres au dessus du Sahara et 100 kilomètres en dessous d'Agadir. 10 jours chez les Berbères, dans une région du monde où la vie, essentiellement rurale, ne coûte pas chère et où la plupart des gens parlent français, ça aide. A 3/4 heures de Charleroi-Paris-Marseille-Toulouse pour le même prix qu'un aller/retour en TGV entre Avignon et Lille par exemple, ça donne à réfléchir.
En juin 2009, Roger et moi nous avons joué "le Cinérotic" en ouverture du festival annuel du musée de la marionnette à Lisbonne, pendant 3 jours mais seulement 2 heures le soir, avant et après le spectacle du Théâtre de la Licorne. Dès qu'elle est sortie de la camionnette, je me suis dit que sa tête me disait bien quelque chose mais avant que je ne retrouve son nom et pourquoi comment on se connaît, elle est venue vers moi pour me le dire: Catherine, ex femme de Paco, avec qui elle a eu sa fille unique, Andréa, qui a maintenant 17 ans et Paco et moi, en plus d'avoir tourné avec Art.M entre 1999 et 2002, nous partagions toujours la même chambre d'hôtel à cause que nous étions les 2 fumeurs de joints de l'équipe.
Catherine est depuis 10 ans l'administratrice du théâtre de la Licorne, compagnie de théâtre d'objets de renommée internationale, qui est installée dans l'ancien Aéronef à Lille, où j'ai fait mes débuts d'artiste, au début des années 90. Au hasard des coïncidences heureuses, j'ai eu l'occasion d'y repasser en fin d'année pour les 20 ans et il y a encore de mes peintures partout sur les murs...
Pendant notre séjour à Lisbonne, nous avons donc eu le temps de parler de choses et d'autres et parmi celles-ci, elle m'a dit qu'elle avait acheté une grotte face à l'océan Atlantique, dans le sud du Maroc, et qu'il fallait absolument que je vienne voir ça. Etant à ce moment là dans un état de dérive psychologique assez avancé, je me suis dit que ce serait surement pas mal d'aller voir ailleurs si j'y suis mieux qu'ici, et savoir à quoi ça peut ressembler la vie là-bas.
Voyage organisé
Je suis parti le 29, juste après avoir mis en ligne sur Youtube quelques extraits du projet "Beatles en français" et "Landry t'explique la vie", filmés en décembre. Arrivée à Agadir 2 heures avant l'avion de Catherine et Laurent, qui eux partaient de Charleroi, avec Germain, le neveu de Laurent et un couple d'amis que je ne connaissais pas, puis nous sommes montés tout de suite à 7 avec le chauffeur dans une petite voiture jusqu'à Tiznit. Jusque là, tout s'est passé comme prévu. Après, je n'avais rien de prévu à part ne pas les suivre tout de suite dans la grotte mais les y retrouver quelques jours plus tard.
50 Dirhams
50 dirhams, c'est environ 5 euros et c'est le prix d'une nuit à l'hôtel des touristes de Tiznit, avec l'eau chaude dans la douche et internet wifi dans la chambre et le petit déjeuner compris. Tout le confort moderne donc et j'y ai passé une 2° nuit pas prévue parce que la voiture de location qui devait arriver le lendemain matin n'est arrivée que le surlendemain en début d'après midi.
N'étant jamais venu au Maroc auparavant, j'avais envie de voir d'ifférents villages et d'autres paysages avant la grotte. J'ai donc loué une voiture pour 3 jours, à 300 dirhams la journée, plus l'essence qui coûte plus ou moins la même chose qu'en France. Direction Tafraout dans un village d'artisants dans la montagne, pas très à l'aise d'y être seul sans envie particulière d'acheter des objets folkloriques dont je ne connais pas les prix qui par principe ne sont jamais affichés.
Mais au cours de mon séjour, j'ai appris que 50 dirhams, c'était aussi le prix d'un kilo de viande et encore le salaire d'une journée de 9 heures de travail pour Baguerra, le fils de l'un des pêcheurs rencontré dans la grotte quelques jours plus tard.
Réveillon
C'était le 31 décembre et de Tafraout, je suis parti pour Agadir mais je me suis un peu égaré dans la montagne à me retrouver sur la route de Tiznit par laquelle j'étais arrivé et que je voulais éviter mais après avoir longé la côte, je me suis égaré à nouveau parce que le Maroc du sud n'est franchement pas fort équipé en panneaux indicateurs.
Dans un petit village, je suis tombé sur un groupe d'adultes désoeuvrés à qui j'ai demandé ma route et 2 d'entre eux m'ont tout de suite proposé de monter avec moi pour que je ne me perde plus et que je les emmène dans le coin des boites de nuit et on y est effectivement arrivé directement. Ils ne parlaient pas trop français mais ils m'ont fait comprendre qu'ils étaient des pêcheurs de misère et celui qui était à côté de moi n'arrêtait pas de répéter "Whisky" en rigolant de toutes ses dents, enfin, celles qui lui restent.
Après les avoir déposé, je me suis baladé un peu sur l'avenue qui longe la mer mais que l'on ne voit pas à cause des hôtels-clubs-boites de nuit qu'il y a tout le long alors je suis allé me coucher de bonne heure, ce qui ne m'arrive pas souvent habituellement, mais comme c'était fête officielle...
Le prix des choses
Le lendemain en sortant de l'hôtel à 220 dirhams la nuit, alors que je cherchais du tabac, un gars bien dévoué m'accompagne jusqu'au bureau le plus proche puis me propose d'aller voir une exposition de Touaregs, dont c'est le dernier jour à ce qu'il me dit. Malheureusement, tout ce qu'il y avait à voir, c'était des plantes séchées, des épices et des aromates dans des bocaux en plastique comme on en voit partout au Maroc et même ailleurs mais le responsable de l'expo m'a tout expliqué ce que c'était, d'où ça venait et à quoi ça pouvait servir pendant qu'un autre m'offrait le thé alors ce n'était pas pire, assez amusant à voir. A la fin du speech absolument pas improvisé, il m'a demandé de lui indiquer ce que je désirais acheter.
J'ai choisi le thé naturellement sucré du Sahara que j'étais en train de boire, des petites graines à moudre pour arrêter de fumer un jour peut-être et du safran qui avait une belle couleur orangée. Le tout pour 350 dirhams... Ca a du les dérouter un peu que je n'essaie pas de négocier le tarif alors mon guide m'a offert de l'huile solaire dans un petit flacon tout merdeux.
Après il a tellement insisté pour m'emmener voir "la ferme du hashisch" que j'ai fini par accepter mais arrivé dans le village où elle est censée se trouver, il m'a expliqué que seuls les marocains pouvaient y entrer alors il est allé seul me chercher 300 dirhams de double zéro. Il est revenu avec un bout qui m'a semblé plus petit que ce que je trouve habituellement en France pour le même prix et qui n'était de plus pas spécialement meilleur. Avant de me lâcher, il a encore réussi à me taper 100 dirhams parce que d'après lui, je venais de faire des super affaires, et je me suis même laissé aller jusqu'à lui dire merci...
Si j'ai bien compris tout de suite que j'étais pour lui le super pigeon du jour, je n'ai en revanche pris conscience que plus tard que j'avais là dépensé en moins d'une heure, et pour quelques grammes de productions locales, 15 jours du salaire d'un travailleur marocain de base.
Et je me suis dit qu'à l'avenir, le mieux pour moi serait d'éviter de trainer dans Agadir.
Les villes et les villages
Alors je suis allé visiter en accéléré d'autres villages, en commençant par Massa puis Aglou, qui se situent en bord de mer. Le soir, je suis allé manger à Meerleft, un autre village d'artisants par très loin. Le lendemain j'avais rendez-vous avec Catherine pour aller à Goulmine, plus au sud, là où commence le Sahara mais elle n'était pas au rendez-vous et pas moyen de s'appeler sur les portables.
Sur la route, je me suis fait arrêter par un policier qui m'a dit que je venais de doubler sur une portion de route non autorisée, et devant lui en plus, mais il m'a rapidement laissé partir parce que je parlais trop bien français, à ce qu'il m'a dit et je crois bien que c'était la première fois de ma vie que je mettais mal à l'aise un policier...
A Goulmine, je suis surtout allé voir le souk des touaregs qui viennent une fois par semaine vendre leurs productions sorties du désert. A peine descendu de voiture, un homme en bleu est venu m'accoster pour que j'aille voir ses dromadaires et il m'a proposé d'en acheter un. Soit le blanc qui flaire les points d'eau à 50 kilomètres de distance et qui est un ami très fidèle, soit un autre modèle marron foncé qui coûte moins cher mais je ne sais pas si les prix, 15.000/10.000, étaient en euros ou en dirhams ou bien encore une autre monnaie possible à ce qu'on m'a dit.
La vache qui rit contre Coca-cola
Dans cette région du monde, il y a très peu de publicités dans les rues car la société de consommation n'est pas encore arrivée jusque là mais les téléphones portables, la télévision et l'internet sont partout.
Quelques enseignes anciennes pour Coca-cola rongées par la rouille ou délavées par le soleil trainent ici ou là mais c'est la Vache qui rit que l'on rencontre le plus souvent au coin des rues, insolite et incongrue et qui rappelle de manière évidente que le Maroc est une ancienne colonie française.
A part ça, pas de cinéma, pas de salles de spectacle ou de bar pour écouter/jouer de la musique. La vie culturelle y est traditionnelle et rattachée aux fêtes religieuses et le reste se passe dans des sphères privées auxquelles je n'ai pas eu accés.
Des personnages
Ensuite, il fallait que je rentre à l'hôtel des touristes à Tiznit pour rendre la voiture avant la nuit. Les 2 gérants de l'hôtel parlent parfaitement le français, mais Abdou est une sorte de Zébulon monté sur ressort avec un accent très caricature de dessin animé qui raconte des blagues le plus souvent alors que Mohamed est tout à l'opposé, qui parle toujours sérieusement et calmement. C'est surtout avec Abdou que j'ai passé du temps à discuter, du Maroc, des villes et des villages que je venais de visiter et aussi des maisons à louer ou à acheter à des prix dérisoires par rapport à ce qui se pratique par ici.
Dans l'hôtel ce soir là, il y avait un autre Paco qui s'occupe de diffuser des spectacles, dont celui de Maria Dolores que j'ai connu à ses débuts alors il s'est avéré que nous avions pas mal de connaissances en commun sur Toulouse en particulier et dans le théâtre de rue en général. Il était en vacances chez Stéphane qui lui est un anar autonome intransigeant sur les prix et toujours prêt à se battre, qui s'est acheté une petite maison à 7 000 euros à Ain Ouled-Geerar, un petit village à 15/20 kilomètres de Tiznit, qu'il repâte, retape et aménage petit à petit. 160 mètres carrés en comptant la cour avec des grands murs, mais seulement 40 ou 50 mètres carrés la partie couverte avec un toit, ce qui est dans la norme locale.
Et aussi 2 Françoise françaises qui ont toutes 2 l'âge de la retraite qu'elles ont décidé de vivre dans la région et encore d'autres gens de différentes nationalités.
Les grottes
Le lendemain, Catherine, Laurent, Germain, Christophe et Pascaline sont revenus de la grotte et nous avons passé la fin de la journée ensemble à faire des courses. Le lendemain suivant, c'était le 4, Christophe et Pascaline reprenaient l'avion à Agadir pendant que j'allais enfin découvrir la grotte qui est en fait loin d'être toute seule puisque celle de Catherine porte le n° 245 et celle du père de Baguerra le 310. C'est en fait une sorte de complexe anarchique contre l'océan.
Pour s'y rendre, il faut quitter la route goudronnée et suivre une piste ensablée plus ou moins praticable pendant 4 ou 5 kilomètres. Sur cette piste, nous avons croisé un monsieur d'un certain âge qui faisait la route à pied alors nous l'avons invité à monter dans le taxi qui nous a déposé au bord de la falaise, quelques dizaines de mètres au-dessus de l'eau.
Il se prénomme Hassanine, ancien prof de langue française à la retraite, qui lui aussi possède une grotte mais la plupart appartiennent à des pêcheurs sobrement équipés d'une simple canne des plus rudimentaires. Mes amis m'ont présenté à lui comme étant poète alors il m'a déclamé un texte rimé de sa composition, écrit dans sa grotte dans laquelle il aime à méditer mais ensuite les autres m'ont dit qu'il aimait surtout y boire tranquille, ce qui n'est pas incompatible.
Mohamed qui est celui par qui Catherine est arrivée là est actuellement en prison, Larbi le voisin de la grotte 246 nous a invité à partager le tagine qu'il venait de préparer puis j'ai rencontré Abdoulah qui vit à Tiznit, Mobarake qui possède une mobylette et qui est le gardien d'une grotte suréquipée qui appartient au frère du propriétaire d'un hôtel de luxe dans la réserve naturelle de Massa et aussi Agnaol qui est sourd-muet mais qui arrive très bien à se faire comprendre. Je l'ai vu 2 jours plus tôt se faire virer de la terrasse d'un café européanisé et il meuglait comme une vache qu'on va étrangler parce qu'il n'était pas d'accord, toute la rue était au courant.
Les plages
Baguerra est arrivé plus tard le soir pendant que nous regardions un gros nanard français sur l'ordinateur portable. Le lendemain matin, nous sommes allés nous promener sur les différentes plages: Bozgage, Anstame, Asarage, Akamoh, Bohlwane et Karat qui sont toutes très proches les unes des autres mais séparées par des falaises de sable dur dessinées par le vent et trouées par la mer qui tape et creuse avec des belles grosses vagues qui s'éclatent alors c'est un beau spectacle permanent. L'une des plages a été baptisée "La plage des cailloux qui chantent" à cause des galets qui roulent, transportés par le ressac mais elle ne chantait pas quand nous l'avons traversée car ce n'était pas la bonne saison, ou pas la bonne heure.
Baguerra
C'est son surnom et quand il était plus jeune, il rêvait d'être un footballeur professionel, il jouait avant-centre mais il a passé un diplôme de réparateur-installateur de frigidaires qui ne lui a pas permis de trouver du travail dans ce secteur d'activité jusqu'à présent. Il travaille actuellement à Agadir dans une petite manufacture qui emboutit de l'inox, à gagner donc 50 dirhams par jour pour 9 heures de dur labeur sur des machines à pédales comme on n'en voit plus chez nous depuis longtemps. (Le modèle qui nique les bras). Il a 20 ans et rêve d'aller vivre en France comme son cousin, d'avoir un jour une voiture comme lui, mais pour le moment une mobylette le comblerait, surtout le modèle 103 classique de chez Peugeot dont il a mis en ligne une belle photo sur son skyblog avec la légende suivante: rien à dire !
Il est très beau et tout sourire. Nous avons passé la journée puis la soirée à parler de nos rêves, lui à partir là-bas chez moi et moi à venir vivre ici chez lui. Il nous a beaucoup répété que c'était pour lui beaucoup de bonheur de passer du temps avec des français et avant d'aller dormir il m'a parlé de manière elliptique mais néanmoins concrète de prendre du plaisir sur lui alors j'ai pensé à André Gide mais mon instinct sexuel étant assez limité et mes pulsions homosexuelles totalement inexistantes, nous en sommes restés là, avec nos désir d'ailleurs chacun pour soi.
Cette nuit là, il y avait tempête dans le ciel et il a beaucoup plu et même neigé sur les sommets à partir de 1000 mètres. Le lendemain, quand nous avons quitté les grottes, la route était inondée, traversée par une rivière improvisée mais nous avons tout de même réussi à passer, de justesse. J'ai offert à Baguerra un banjo pour qu'il s'exerce à la musique qu'il a déjà pratiqué occasionnellement, qui est un autre de ses rêves, qui est ce qu'il aurait de mieux à m'offrir pour me faire plaisir, des histoires de sa vie en chansons et je lui ai demandé de m'écrire des poèmes en berbère, que je traduirai en français à l'occasion.
Et puis c'était fini les vacances, mais c'est décidé, j'y retourne en février.

et d'autres images encore:
La mer - Les grottes - Inondation - La falaise - Les gens - Les oiseaux - Les pêcheurs - Un village