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15 août 2009 6 15 /08 /août /2009 18:26
Elle fut ma Gradiva, la guérisseuse des épouvantes, la conquérante de mes délires, l'amante aimant de mes forces verticales. Elle est Leda, la mère. Elle est Hélène, soeur immortelle de Pollux-Dali dont le Castor est ce frère génial que j'eus et qui se prénomma aussi Salvador...

Gala est encore un Sphinx, mais secourable, qui au lieu de m'interroger, interroge pour moi les énigmes et détient dans sa chair les réponses. C'est pourquoi je décrirai ma passion à partir d'un point minuscule de son corps de femme : un grain de beauté. Ce grain de beauté, situé sur le lobe de l'oreille gauche de Gala, est le lieu de concentration de ma vie affective dominée par le drame du père. J'ai dit souvent que mon père était à la fois Moïse, Guillaume Tell et Jupiter mais je ne me suis jamais bien expliqué sur les origines de mes traumatismes. Mon père m'a infligé dès ma naissance, par excès d'amour qui ne s'adressait pas à moi mais à mon frère mort, une blessure narcissique par où ma raison faillit s'engouffrer et que mon génie est parvenu, aidé par Gala, non à fermer tout à fait mais à utiliser positivement.

Je naquis double. Mon frère, premier essai de moi-même, génie extrême et donc non-viable, avait tout de même vécu 7 ans avant que les circuits accélérés de son cerveau ne prennent feu. C'est à cause de ce Salvador que j'étais le bien-aimé que l'on aimait trop. Il n'existe pas, pour le petit enfant, de choc plus catastrophique que le trop amour, et ce trop amour-à-cause-d'un-autre-moi-même, j'allais le ressentir avec la violence et l'étendue que permet le monde symbiotique et indifférencié des premières années...

J'étais un après-midi avec Gala dans l'atelier de Picasso. Il était pour elle d'une gentillesse exceptionnelle. Evénement rarissime, il alla jusqu'à lui faire cadeau d'un tableau. Invitée à choisir, elle désigna par discrétion la plus petite des toiles cubistes. Comme elle se penchait pour prendre celle-ci, Picasso lui saisit l'oreille entre le pouce et l'index et s'exclama : "Mais vous avez exactement le même grain de beauté que moi!" Je m'approchai. Je touchais ces deux oreilles. Je sentis ce même relief. Immédiatement, j'éprouvai un tressaillement, je sus que je tenais la preuve glorieuse de la légitimité de mon amour. De retour chez moi, dans un état d'enthousiasme, je me persuadai que ce grain ne pouvait que correspondre à une intersection des lignes de la section dorée et je n'eusse de cesse de vérifier cette intuition viscérale. Je me plongeai dans les travaux du prince roumain Matila Ghyka, professeur d'esthétique à l'université de Californie du sud. J'eus des conversations avec lui et je lus sa géométrie de l'art et de la vie. Je retournai à Fra Luca Pacioli, ami de Léonard de Vinci et père de la divine proportion. Je découvris dans les tracés de régulation de Matila Ghyka, sur le visage d'une suédoise, le point de croisement exactement situé sur l'oreille gauche du grain de beauté de Gala et de Picasso. Je m'acharnai à découvrir la légitimité du mot: grain de beauté. Les anciens, nourris de la science platonicienne des formes idéales, n'avaient-ils pas vu, dans certains grains, des points de repères de l'harmonie parfaite ? Ainsi, ce minuscule relief sur le lobe de l'oreille de Gala reliait mon amour à la passion du père et à la passion esthétique: à la puissance fondamentale et à la beauté absolue. Il prenait donc une valeur sacrée et, en touchant cette petite tache brune, je prenais une vive conscience de la cohérence de ma vie et de l'universalité de sa signification. Enfin, poussant à fond ce délire éclairé, je voulais voir dans ce grain de beauté, point de fixation des structures de ma personnalité, l'habitat de mon frère mort et le lieu de condensation de l'énergie biologique, un noyau glorieux de la matière vivante...

On ignore encore davantage comment apparaît le bronzé en relief du grain de beauté. J'imagine qu'un soleil intérieur, privilège des natures d'exception, imprègne du dedans cette couche germinative, se manifestant ainsi en surface par un grain de beauté, signature des architectures divines. Bien entendu, des individus ordinaires peuvent posséder une grande quantité de grains, jetés au hasard, éparpillés de manière prosaïque. Mais chez des êtres de texture psychique exceptionnelle, les grains seraient le reflet de ce soleil intérieur, de ce Dieux en eux... Je me demande si ce pattern invisible et présent ne pourrait, chez certains humains très glorieux, se trouver contenu et résumé dans un seul grain de beauté indicateur de la section dorée. Ainsi dans mon délire constamment alerté ai-je peut-être découvert une signalisation universelle, un diagramme de la personnalité divine, la carte d'identité angélique de l'humain.

Il y a moins de folie dans ma méthode que de méthode dans ma folie, et c'est pourquoi j'ai continué de dire que la seule différence entre un fou et moi est que je ne suis pas fou.  Il était d'une logique toute monarchique, à l'intérieur de mon système, que je trouve, sur la peau suave de l'oreille de Gala, le sceau, le cachet de l'authenticité de ma passion, et, sous forme de cette pastille sacrée, l'hostie de la communion paternelle. Découvrir un tel signe sur Gala et sur Picasso me conduisait à une reconnaissance totale de moi-même et à la régularisation de mes hantises et vertiges. J'y voyais de surcroit, l'étoile du génie de mon frère mort, moi qui naquis double. J'y voyais le point de clôture de ma personne et le point central de mon génie. Enfin, l'inconscient dalinien faisant apparaître Leda, la mère cosmique des jumeaux divins, je puis fermer la boucle et me permettre de posséder en toute légitimité, mon père, mon frère, ma mère et la beauté. Ce grain de beauté, qui clôt le corps de Gala, clôt mon espace intérieur.

Que ma passion pour Gala se concentre sur ce point n'est pas seulement un effet de la réflexion. D'ailleurs, la réflexion n'est jamais, chez moi, une activité pure, mais une analyse et une hiérarchisation des pulsions internes. Dans la mesure où je suis un mystique espagnol, je suis un hyperréaliste, partant du concret pour y revenir, et je n'aurais pas été en alerte si ce grain de beauté n'était, précisément, la partie du corps de Gala que j'aime le plus toucher. Sans cesse mes doigts se portent voluptueusement vers son oreille, et ce geste est inséparable de la plupart de mes méditations.

Je rappelle que dans l'annonciation, qui est l'histoire de l'Angélus, c'est par l'oreille de Marie que le verbe de Dieu pénètre en elle. Ce long extrait du premier chapitre du Dali-Pauwels intitulé "Les passions selon Dali", a donc ici toute sa place, dans un grain de beauté particulièrement bien placé.
Et les fragments ci-dessous sont extraits du même ouvrage à 2 têtes, où il est encore question de son frère mort.
..

Me venger d'être trop aimé? M'affirmer pour effacer le souvenir de mon frère mort? J'étais le type même du pervers polymorphe. Je jouissais d'infliger des supplices à mon entourage, et mes premières années furent marquées par une anomalie freudienne caractérisée : le plaisir suraigu de retenir mes crottes.

Enfant, à la vue d'un drap noir, mes cheveux se dressaient, la peur m'entrait dans le ventre. Je tremblais si l'on me parlait d'aller au cimetière voir mon frère. La nuit venue, je ne  pouvais traverser la chambre de mes parents, à cause du portrait de ce frère et de la reproduction du christ de Velasquez. Si la mort m'exalte maintenant, c'est que l'horreur qui s'y attache naturellement est allée au tout-à l'égout; je l'ai digérée et rejetée, m'étant beaucoup nourri d'images lugubres.

...et du plaisir de la sublimation :

Une énorme déception, un froid abyssal, se sont abattus sur l'assemblée. Mais enfin, nul n'a protesté, chacun s'est incliné devant l'apparition d'une mystérieuse impossibilité. Ils sont partis, la glace dans le coeur. Et moi, je suis resté seul dans cette nef des fous, au milieu des fumées colorées, admirant ce miraculeux échec, pleurant de joie devant ce sabotage gigantesque, dans un état de jubilation maximal.

Mais je répète que la perversion sublime et le plaisir le plus aigu, celui qui étire mes lèvres et les retrousse, est dans l'annulation brusque du désir, l'arrêt inattendu, l'échec. Je pense aujourd'hui que mon érotisme n'est pas sans liaison avec la vieille influence cathare, la mystique des troubadours et de l'amour courtois, les jouissances de la non-consommation, les spiritualisations de l'acte par privation, la remontée des énergies de l'orgasme vers le cerveau, l'inversion du flux pour un éblouissement cérébral, bref tout ce qu'a étudié René Nelli. Des grands orgasmes intellectuels à partir de presque rien tangible. Un maximum de désir pour un minimum de consommation. Le désir comme valeur transmutante : mon foutre intériorisé qui rejaillit à la pointe de mon pinceau.
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12 août 2009 3 12 /08 /août /2009 23:29
Lorsque Vincent Van Gogh arrive à Paris pour la seconde fois, en 1875, Millet vient de mourir. La vente aux enchères de l’atelier du peintre de Barbizon est passée. En revanche, près d’une centaine de ses pastels sont exposés à l’hôtel Drouot. De là date la rencontre picturale, vécue par Van Gogh comme un éblouissement qui lui fera écrire plus tard à son frère Théo : "Millet, c’est Millet le père, c.-à-d. qu’il est guide et conseiller en tout pour les jeunes peintres." Mais Van Gogh n’est encore que l’employé de la galerie Goupil et Cie, s’essayant péniblement au commerce d’art dont il exècre la malhonnêteté. Il y échouera, comme ensuite à son emploi de commis en librairie puis à ses études de théologie.

En 1884, il confie: “Pour moi, Millet est le peintre essentiellement moderne grâce à qui l’horizon s’est ouvert devant beaucoup...

Van Gogh, alors qu’il n’était âgé que de 22 ans, après avoir assisté à la vente de 95 pastels de Millet à Drouot, écrivait à Théo: “Quand je suis arrivé dans la salle où étaient exposées les œuvres de Millet, j’ai éprouvé quelque chose dans le genre de “Déchausse-toi, le lieu que tu foules est sacré...

Ci-dessus, quelques commentaires de Vincent Van Gogh à propos de Jean François Millet, son maître, qu'il appelle le père, glanés sur internet et dont la source est à retrouver...

Et ci-dessous,
une compilation d'extraits des "Lettres à son frère Théo", relu dernièrement. (Edition L'imaginaire - Gallimard)

Novembre 1978 - octobre 1880 - le Borinage
127
Tu te rappelles peut-être bien que j'ai su (et il se peut que je le sache encore), ce que c'était que Rembrandt, ou ce que c'était que Millet, ou Jules Dupré, ou Delacroix... Bon, maintenant, je n'ai plus cet entourage là - pourtant ce quelque chose qui s'appelle âme, on prétend que cela ne meurt jamais, et que cela vit toujours et cherche toujours et toujours, et toujours encore.

133
Ce serait donc un malentendu si tu persistais à croire que par exemple maintenant je serai moins chaleureux pour Rembrandt, ou Millet, ou Delacroix, ou que ou quoi que ce soit, car c'est le contraire; seulement voyez-vous, il y a plusieurs choses qu'il s'agit de croire et d'aimer, il y a du Rembrandt dans Shakespeare, et du Corrège en Michelet, et du Delacroix dans V. Hugo, et puis il y a du Rembrandt dans l'évangile ou de l'évangile dans Rembrandt, comme on veut, cela revient plus ou moins au même, pourvu qu'on entende la chose en bon entendeur, sans vouloir la détourner en mauvais sens et si on tient compte des équivalences des comparaisons, qui n'ont pas la prétention de diminuer les mérites des personnalités originales. Et dans Bunyan il y a du Maris ou du Millet et dans Beecher-Stowe il y a du Ary Scheffer.

Cuesmes, 24 septembre 1880
136
J'ai un peu étudié certains ouvrages d'Hugo cet hiver dernier, soit Le dernier jour d'un condamné, et un très beau livre sur Shakespeare. J'ai entrepris l'étude de cet écrivain depuis longtemps, cela est aussi beau que Rembrandt. Shakespeare est à Charles Dickens ou à V. Hugo, ce que Ruysdaël est à Daubigny, et Rembrandt à Millet.

Etten, avril 1881 - décembre 1881
161
Le père Millet ! A-t-il dû faire face à plus de dépenses que tant d'Italiens et d'Espagnols qui "vivent dans le désert où le ciel est de cuivre et le sol de fer" ? Est-ce qu'une épouse coûte plus cher qu'une maitresse? Vous payez tout de même les maitresses, messieurs les marchands d'art, et ces dames se moquent de vous derrière votre dos.

La Haye, décembre 1881 - septembre 1883

Je trouve vrai la réflexion du père Millet: Il me semble absurde que les hommes veuillent paraître autre chose que ce qu'ils sont.

180
Je recopie quelques phrases extraites du Millet de Sensier, qui m'ont profondément frappé et ému; ce sont des mots de Millet: "L'art c'est un combat, -dans l'art, il faut y mettre sa peau. Il s'agit de travailler comme plusieurs nègres: j'aimerais mieux ne rien dire, que de m'exprimer faiblement."
C'est seulement hier que j'ai lu cela, mais j'avais déjà éprouvé la même chose auparavant.

181
Il est suprêmement indélicat de la part d'un critique d'aller pêcher de quoi critiquer dans la vie privée d'un homme, dont l'oeuvre ne prête à aucune critique. De Groux est un maître, de même que Millet et Gavarni."

193
"Vous m'avez laissé tomber quand j'étais aux prises avec les difficultés, mon ami, je ne vous connais pas, allez-vous en , car vous me cachez la lumière." Mon dieu, de quoi aurais-je peur, que m'importent les "déplaisant" et les "invendable" de Tersteeeg ? S'il m'arrive de perdre courage, je contemple Les bêcheurs de Millet, Le banc des pauvres de de Groux, et Tersteeeg devient alors si petit, si petit! Tous ces commérages me paraissent si mesquins que je retrouve ma bonne humeur, allume ma pipe et me remets à dessiner.

212
A cette époque-là, j'étais en proie à une mélancolie indicible. Je me souviens avoir souvent pensé à la parole virile du père Millet : Il m'a toujours semblé que le suicide était une action de malhonnête homme. Le vide, la misère intérieure m'ont alors amener à penser : oui je comprends que certains se jettent à l'eau.

213
Même quand j'étais assis près d'elle à l'hôpital, j'éprouvais quelque chose comme la poésie éternelle de la nuit de noël, telle que les anciens maîtres hollandais l'ont représentée, ainsi que Millet et Breton : un enfant dans une étable, une lumière dans l'obscurité, une clarté au milieu de la nuit. Aussi ai-je accroché au-dessus du berceau une grande gravure d'après Rembrandt où l'on voit deux femmes auprès d'un berceau : l'une lit la bible à la lueur d'une bougie, tandis que de grandes ombres plongent toute la pièce dans un profond clair-obscur. J'y ai accroché également d'autres gravures particulièrement belles, notamment Christus Consolator  de Scheffer, la reproduction photographique d'un Boughton, Le Semeur et Les Bêcheurs de Millet...   

219
Je trouve vraie la réflexion du père Millet : Il me semble absurde que les hommes veuillent paraître autre chose que ce qu'ils sont.

227
Enfin, c'est une personnalité, mais je préfère quand même lire la biographie du père Millet, de Th Rousseau ou de Daubigny. Quand on lit l'ouvrage de Sensier sur Millet, on se sent encouragé, tandis que la lecture de celui de Bilders laisse une impression navrante.
Il est vrai que toutes les lettres de Millet débordent de l'aveu des difficultés, mais il ajoute aussitôt j'ai tout de même fait ceci ou cela et il fait alors allusion à ce qu'il voudrait faire à tout prix, et il y arrive en fait.
Je trouve que G. Bilders écrit trop souvent des phrases comme celle-ci : j'ai eu le cafard cette semaine et j'ai barbouillé - j'ai assisté à tel concert ou à telle comédie et j'en suis revenu encore plus cafardeux. Ce qui me frappe dans Millet c'est cette simple phrase : il faut tout de même que je fasse ceci ou ça.
Malgré le ton spirituel, tout cela m'ennuie; j'ai plus de respect pour les difficultés d'ordre privé de Millet, qui dit: il faut tout de même de la soupe pour les enfants, sans parler de manillas pointus ni d'autres amusements.

301
Théo, dépenser plus d'argent qu'on n'en reçoit n'est pas bien, mais à choisir entre interrompre le travail et le continuer, je choisis de travailler jusqu'au bout.
Millet et d'autres précurseurs ont persévéré sans craindre l'huisier, quelque uns ont même été en prison, ou ils ont dû chercher un gîte à gauche ou à droite, mais ils n'ont jamais interrompu leur travail, autant que je sache.
Quand à mes difficutés, ce n'est qu'un début, car j'en vois surgir en foule dans le lointain comme une grande ombre noire; cette pensée entrave parfois mon travail.

332
Il existe ici des spécimens singuliers de pasteurs dissidents, qui ont des gueules de cochon et portent des bicornes. On rencontre également beaucoup de juifs qui adoptent une attitude éxécrable, quand on les distingue parmi les individus à la Millet, dans la bruyère naïve et mélancolique. Por le reste, ils sont tout à fait vrais; j'ai voyagé en compagnie d'une bande de juifs qui discutaient théologie avec quelques paysans. On serait tenté de se demander comment des choses aussi absurdes sont possibles dans un pays comme celui-ci...

Arles 21 février 1888 - 6 mai 1889
520
C'est la bonne chaleur qui me rend mes forces, et certes je n'ai pas tort d'aller maintenant dans le midi, au lieu d'attendre jusqu'à ce que le mal fût irréparable. Oui je me porte aussi bien que les autres hommes maintenant, ce que je n'ai pas eu que momentanément à Nuenen par exemple , et cela n'est pas désagréable. Par les autres hommes j'entends un peu les terrassiers grévistes, le père Tanguy, le père Millet, les paysans; si l'on se porte bien il faut pouvoir vivre d'un morceau de pain, tout en travaillant toute la journée, et en ayant encore la force de fumer et de boire son verre, il faut ça dans ces conditions. Et sentir néanmoins les étoiles et l'infini en haut clairement. Ah! ceux qui ne croient pas au soleil d'ici sont bien impies.

600
Quelle histoire que cette vente Sécretan! Cela me fait toujours plaisir que les Millet se tiennent. Mais combien désirerais-je voir davantage de bonnes reproductions de Millet, pour que cela aille au peuple.
L'oeuvre est surtout sublime considérée dans son ensemble et de plus cela deviendra difficile de s'en faire une idée, alors que les tableaux se dispersent.

605
Pour réussir, pour avoir prospérité qui dure, il faut avoir un autre tempérament que le mien, je n'en ferai jamais ce que j'aurais pu et dû vouloir et poursuivre.
Mais je ne peux vivre, ayant si souvent le vertige, que dans une situation de quatrième, cinquième rang. Alors que je sens bien la valeur et l'originalité et la supériorité de Delacroix, de Millet par exemple, alors je me fais fort de dire : Oui, je peux quelque chose. Mais il me faut avoir une base dans ces artistes-là, et puis reproduire le peu dont je suis capable dans le même sens.

Auvers sur Oise 17 juin 1890
642
Certes l'avenir est bien dans les Tropiques pour la peinture, soit à Java, soit à la Martinique, le Brésil ou l'Australie, et non pas ici, mais tu sens qu'à moi il ne m'est pas prouvé que toi, Gauguin ou moi, soyons ces gens d'avenir-là. Mais certes encore une fois, là et non pas ici, un jour probablement proche, on verra travailler des impressionnistes, qui se tiendront avec Millet, Pissarro. Croire à cela c'est naturel, mais y aller sans les moyens d'existence et de rapport avec Paris un coup de tête, alors que des années durant on s'est rouillé en végétant ici.

Un mois plus tard, le 27 juillet 1890, Van Gogh se tire une balle dans la poitrine.

Fin de l'histoire, début du mythe.

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6 juillet 2009 1 06 /07 /juillet /2009 23:46
Une série de 5 cartes postales titrées "L'angélus d'amour",
avec de biens jolis petits poèmes champêtres

Entends-tu ? Voici l'angélus qui tinte
Pour les fiancés l'angélus d'espoir,
l'angélus d'amour à la chanson sainte
Dans le chant du soir !

Si la marguerite aime le bluet
C'est que vers l'hymen, tout marche à souhait.

Puisque l'on obtient que ce que l'on ose,
Le coquelicot veut aimer la rose.

Je suis la jeunesse, tu es le printemps :
On peut s'adorer quand on a vingt ans.

Au chant des blés d'or, de rosée humides,
Laissez-moi t'aimer, blonde aux yeux timides.


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13 juin 2009 6 13 /06 /juin /2009 17:41
Dès leur plus jeune âge, des filles et des garçons, avec quelque chose au milieu qui les relie.
Pour commencer quelques exemples autour de l'arrosoir, qui est un symbôle intéressant,
et qui appartient au quotidien de la vie des paysans.

Exceptionnellement, c'est la fille qui tient ici l'objet hautement connoté...

Il y a un bruit qui court comme quoi les comptines pour les enfants seraient des dérivés
de chansons paillardes. A l'exemple de la souris verte qu'on attrape par la queue,
mais "Savez-vous planter des choux" n'est pas mal non plus dans son genre, et j'y reviendrais.


L'arrosoir, c'est ce qui aide à faire grandir, à nourrir, un genre de biberon pour nos amies les plantes.
Ci-dessus et ci-dessous.


Ci-dessous 2 filles autour d'un chapeau géant de magicien, bien arrosé lui aussi
mais je ne comprends pas très bien pourquoi. "Nouveau système", il est écrit dans la légende.

Ci-dessous, 3 exemples avec un panier entre les 2, classique et traditionnel,
mais contrairement à l'Angélus, où le panier semble pratiquement vide,
là, le panier déborde le plus souvent, comme une corne d'abondance.
Mais je m'y attarderais plus longuement prochainement

Ici 2 garçons qui renversent tout par-terre, des symbôles du bonheur pour la bonne année:
Le trèfle à 4 feuilles qui portera chance, félicité et prospérité à volonté.

Là encore, le panier est généreusement garni, et ils ont le sourire.

Pour Pâques un oeuf géant, tout un symbôle lié à la procréation, évidemment.

Avec un joli noeud qui me rappelle la figure de Mickey en passant,
mais que vont-ils trouver dedans ?

Avec un ballon multicolore, qui est un autre genre d'oeuf, mais avec rien dedans.

Une rencontre autour du café au lait. Le lait pour la fille et le café pour le garçon. Normal.

Et pour finir cette série, un petit cochon tout mignon...

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11 juin 2009 4 11 /06 /juin /2009 19:58
Avec la brouette au centre, la femme à genoux à gauche, et l'homme debout à droite,
les outils à la main et le chapeau sous le bras. En couleurs et en noir et blanc.


Idem ci-dessous mais sans la brouette, avec le panier légèrement décalé
et le chapeau bien à sa place.

Tous les 2 debouts avec la brouette entre eux, c'est l'homme qui s'est déplacé
mais on est ici tout proche de la version originale.

La brouette et les outils au centre, le face à face à une certaine distance...

La femme assise sur la brouette, l'homme avec la fourche sous le bras.

L'homme derrière la femme, l'outil qui la traverse et le panier dans la perspective.

3 hommes avec leurs chapeaus ronds, ce sont des bretons.

Toute la famille qui regarde dans la même direction.

3 femmes et un homme, qui tient à la main l'outil de la mort dressé en l'air.

Une famille avec le père au premier plan, la fourche du diable à la main,
là encore dressée vers le ciel.

Et la même en noir et blanc pour finir cette série autour des variations.

Voir également les parodies et autres variations...

Et encore une parodie, en noir et blanc
En costume de ville, avec la fourche remplacée par une pelle...
Et l'église à l'arrière plan a disparu.

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10 juin 2009 3 10 /06 /juin /2009 16:02
Tout "converge" vers cette thématique: L'interprétation de Dali, qui est autant sexuelle qu'érotique, la carrière de Millet, qui a débuté dans l'art avec des peintures érotiques, l'Annonciation qui est le moment de la conception de Jésus et la Nativité qui en sera le résultat 9 mois plus tard, et aussi le petit fascicule de Jean Fournée, dans lequel il y a l'image ci-contre:

Extrait du livre d' "Heures d'Anne de Bretagne", qui représente l'ange Gabriel au moment de l'Annonciation, qui date du XV° siècle, et dans lequel l'ange tient son "bâton fleuronné" d'une manière particulièrement équivoque. La connotation érotique et sexuelle m'y semble évidente, son regard vaseux et son petit sourire, la position de ses mains, celle du bâton. Erection! Masturbation? Sublimation... Le moment "où l'ange pénètre dans l'intimité de son intérieur", comme l'a si bien écrit Jean Fournée.

Le fruit de vos entrailles est béni.
Et L'ange s'agenouille
...

"Le légendaire marial et les récits de Miracula, qui connurent une si grande vogue aux XII° et XIII° siècles, prouvent combien était répandue chez les fidèles la récitation de la salutation angélique. On dit que les dévots de la Vierge accompagnaient même chaque Ave d'une génuflexion, ce qui pourrait fort bien être en rapport avec l'évolution iconographiquie du thème de l'Annonciation. A l'époque romane, l'ange et Marie sont debouts l'un devant l'autre. Au XIII° siècle, l'ange s'agenouille devant elle."

A ce moment là, le mot "s'agenouille" est coupé en 2 dans l'édition française de "L'histoire de l'angélus", "s'age" en fin de ligne à droite, puis "nouille" sur la ligne du dessous à gauche. Ce qui m'a fatalement évoqué un jeu de mots idiot. Les anges n'ont pas de sexe mais il semblerait que Gabriel, qui est un archange, soit plutôt un mâle mais la question reste de savoir s'il est impuissant ou pas...

Curieux hasard ou est-ce une volonté de l'inconscient qui ne pense qu'à ça ?

D'après Catherine Millet, qui a écrit et publié sur lui: "Dali et moi" en 2005: "Si la voix et le discours de Salvador Dali se caractérisent par leur lyrisme et leur emphase, en revanche ses écrits frappent par leur crudité radicale. La description des corps et l'évocation de la sexualité sont confondantes de réalisme et souvent touchantes dans leur simplicité. Je ne pouvais pas ne pas y être sensible et cela m'a fourni le point de départ d'une réflexion qui, notamment, lie l'hyperacuité visuelle à l'onanisme."

Dali pris entre Catherine et Jean-François, Millet. C'est une autre coïncidence qui pour moi donne un sens de plus, absurde et paradoxal, à cette recherche qui n'en a pas mais il est à noter néanmoins que c'est un dessin extrait de "la gare de Perpignan" où l'Angélus de Millet est  omniprésent, qui figure sur la couverture. Et peut-être Catherine est-elle une parente de Jean François...


Ci-dessus, l'image qui figure en introduction au fameux livre de Dali "Le mythe tragique de l'Angélus de Millet", qui donne tout de suite et sans ambiguité une certaine idée du sujet. Rédigé en 1933 mais publié en 1963.
"Le manuscrit de ce livre fut perdu au moment de notre départ d'Arcachon, quelques heures avant l'occupation allemande. Retrouvé aujourd'hui après 22 ans , je l'ai relu et j'ai décidé de la publier tel quel, sans y toucher une virgule. Entre-temps, j'avais réuni tout un réseau d'informations accablantes sur "l'érotisme paysan", qui devait aboutir à mon film en cours, "La brouette de chair". On sait que les paysans, dans la rudesse de leurs labeurs, accablés par la fatigue physique, tendent à érotiser, par une sorte de "cybernétique atavique", tous les instruments de travail qui tombent sous leur main, la brouette en constituant le phantasme suprème, aveuglant, à cause de sa structure anthropomorphe et de ses possibilités de fonctionnement symbolique..."

"La gare de Perpignan", c'est selon Dali le centre du monde, un lieu où tout converge, mais surtout l'Angélus de Millet dans tous ses états, en 1965... Ci-dessous.


Et ce dessin (à gauche) qui figure sur la couverture de "Dali et moi" de Catherine Millet est donc un dessin préparatoire pour "La gare de Perpignan", dans lequel la brouette occupe une place importante mais c'est Jésus qui reste au centre, au moment de sa crucifixion, 33 ans après sa naissance.
De sa conception à sa naissance, et jusqu'à sa mort, Jésus reste donc l'élément central de cette histoire. Au nom du père et du fils, en passant par le saint esprit. La trilogie sacrée derrière laquelle Marie n'existe plus autrement que d'y avoir été mise "en sainte".


A droite, également extrait de "L'histoire de l'Angélus" rédigé par Jean Fournée, une autre page d'un livre d'heures, de Geoffroy Tory cette fois, édité par Simon de Collines en 1531. Où l'on voit le petit Jésus, qui n'est pas encore né puisqu'il s'agit là du moment de sa conception, descendre du ciel dans un rayon de lumière, emportant déjà avec lui la croix sur laquelle il devra mourir 33 ans plus tard...

Etonnant raccourci de l'histoire mais qui est autorisé puisque nous sommes là dans le domaine du symbolique et de l'imaginaire, bien loin du réel et du quotidien de la vie des simples paysans dont la journée de travail est rythmée par l'Angélus, les cloches qui sonnent matin, midi et soir et la prière qui se répète de jours en jours.

Ici l'espace-temps est retourné sur lui-même, le début et la fin au même instant magique, la durée évaporée, toute une vie de souffrance oubliée, comme à l'intérieur d'un anneau de Moebius, la boucle y est bouclée.

Et c'est cette pirouette temporelle qui me semble être à l'oeuvre dans l'Angélus de Millet, qui représente au premier abord un simple couple de paysans anonymes mais qui symbolise tout à la fois l'annonciation, la nativité et la mort, dont le propos est donc universel,  du profane au sacré, profondément religieux et définitivement érotique.

"Ainsi veut-on nous rappeler que Marie sera la mère du divin crucifié.Le meilleur commentaire de cette image n'est-elle pas tout simplement le verset de notre crédo: "Et pour notre salut, il descendit du ciel. Par l'esprit saint, il a pris chair de la Vierge Marie et s'est fait homme." (Jean Fournée).

Et pendant ce temps là, les pauvres paysans, à force de cultiver leur champ, y trouvent une multitude d'enfants dans les choux ci-dessous et par ailleurs un petit peu partout....


Amen.

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9 juin 2009 2 09 /06 /juin /2009 19:59
Jean-François Millet est né en 1814, premières oeuvres en 1839 : portraits et peintures érotiques


Se marie avec Catherine Lemaire en 1853, 9 enfants.
Travail paysan et scènes rurales à partir de 1849.

L'Angélus
(entre 1857 et 1859) - 55 cms x 66 cms: (dans Wikipédia)
En plein travail des champs, deux paysans ont posé leurs outils pour se mettre en prière avec simplicité tandis qu'on devine l'angélus sonner au clocher lointain, (celui de l’église Saint-Paul des XIIe et XVe siècles de Chailly-en-Bière, près de Barbizon).

Ce tableau s'inspire de son enfance paysanne. « L'Angélus est un tableau que j'ai fait en pensant comment, en travaillant autrefois dans les champs, ma grand-mère ne manquait pas, en entendant sonner la cloche, de nous faire arrêter notre besogne pour dire l'angélus pour ces pauvres morts » disait Millet.

Tout comme La Joconde, L'Angélus a été représenté un nombre incalculable de fois, sur des calendriers des Postes, des canevas, des meubles, des cahiers d'écolier, etc. Il est devenu une sorte d'icône de la peinture populaire.

Millet est considéré comme un peintre réaliste, mais il a eu une grande influence sur des impressionnistes tels que Claude Monet et Camille Pissarro, et surtout sur Vincent Van Gogh, qui a reproduit à sa façon la plupart de ses scènes rurales.

Vincent Van Gogh "La sieste" (1889-1890)

Salvador Dali en particulier était fasciné par ce travail, et lui a consacré un livre entier (le Mythe tragique de l'Angelus de Millet). En 1938, Dali écrit que les paysans figurant sur le tableau, n'étaient pas simplement en prière suite à l'Angelus, mais qu'ils se recueillaient devant un petit cercueil. En 1963, Dali insiste et obtient du Louvre que le tableau soit radiographié. Sous la peinture, au premier plan, est effectivement masqué le cercueil d'un enfant.

Salvador dali "Atavisme du crépuscule" (1934)

En 1889, la volonté de rachat du tableau par le Louvre est devenu en France une affaire d'état et médiatique, opposant la droite royaliste qui ne voulait pas de cette acquisition, au gouvernement qui ne voulait pas que le tableau devienne la propriété des musées américains. L'État ne réunissant pas la somme nécessaire, le tableau fut acheté par l'American Art Association en 1890, mais aussitôt revendue à Alfred Chauchard, qui le lègue aux musées nationaux à sa mort, en 1909. Dès lors, exposé au Louvre, il est lacéré par un déséquilibré en 1932. Il est affecté au musée d'Orsay en 1986. (Wikipédia)

Le réalisme
est un mouvement artistique du XIXe siècle. Il est à considérer comme un trait d'union, une transition entre le romantisme et l'impressionnisme. C'est une étude approfondie de la réalité. La révolution de 1848 contre la Monarchie de Juillet a des répercussions dans le domaine artistique : les conventions néoclassiques alors en vigueur sont rejetées et le réalisme s'affirme. Là où le Néoclassicisme se référait à la pensée antique d'un idéal parfait, équilibré, mesuré, le réalisme veut montrer ce qu'il perçoit de manière objective. On peut rapprocher cette pensée des avancées techniques qui avaient alors lieu (la Révolution industrielle), mais aussi de la mort de Dieu dont parle Nietzsche : la science prend la place des mythes.

Appliquant une méthode dérivée de la méthode scientifique, l'artiste s'attache alors à représenter ce qu'il voit et non plus des "hauts faits" ou des sujets mythologiques. Les paysans ou les gens du peuple deviennent des sujets de tableaux. (Wikipédia)

Quelques critiques
Millet, le peintre des paysans (Ernest Chesneau)
"Oui, cela n'est que vrai, le paysan de J.-F. Millet, le plus souvent et de premier aspect, est l'animal farouche des Caractères. Il demeure ployé sous la tyrannie de la glèbe et du labeur qu'elle exige. L'excès de la peine physique a étouffé en lui tout développement intellectuel. Il semble nous dire que le travail des bras est exclusif, non des fonctions de l'âme, mais des fonctions du cerveau. Il peut prier; penser, non. C'est pourquoi nous ne voyons nul éclair en ses yeux. Même quand il parle à Dieu, il penche son front vers le sol (l'Angelus)."

Jugement de Baudelaire dans les Curiosités esthétiques:
«M. Millet cherche particulièrement le style; il ne s'en cache pas, il en fait montre et gloire. Mais une partie du ridicule que j'attribuais aux élèves de M. Ingres s'attache à lui. Le style lui porte malheur. Ses paysans sont des pédants qui ont d'eux-mêmes une trop haute opinion. Ils étalent une manière d'abrutissement sombre et fatal qui me donne l'envie de les haïr. Qu'ils moissonnent, qu'ils sèment, qu'ils fassent paître des vaches, qu'ils tondent des animaux, ils ont toujours l'air de dire: "Pauvres déshérités de ce monde, c'est pourtant nous qui le fécondons! Nous accomplissons une mission, nous exerçons un sacerdoce!" Au lieu d'extraire simplement la poésie naturelle de son sujet, M. Millet veut à tout prix y ajouter quelque chose. Dans leur monotone laideur, tous ces petits parias ont une prétention philosophique, mélancolique et raphaélesque. Ce malheur, dans la peinture de M. Millet gâte toutes les belles qualités qui attirent tout d'abord le regard vers lui.»

C'est la découverte de ce commentaire l'année dernière qui m'a donné envie d'aller chercher dans l'histoire de l'art comment avaient été représentés "L'Annonciation" d'une part et "La Nativité" d'autre part...

Fra Bartolommeo (1484-1542) Nativité

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8 juin 2009 1 08 /06 /juin /2009 20:28
L'histoire de l'angélus, c'est donc d'abord et avant tout le moment où l'ange Gabriel annonce à Marie qu'elle sera la mère de Dieu, et qu'elle sera et restera éternellement vierge...

Les représentations les plus anciennes de l'Annonciation apparaissent dans les peintures des catacombes de Priscille, et de Saint Pierre-et-Saint-Marcellin à Rome (IV siècle).

L'archange a l'aspect d'un jeune homme et se tient debout devant la Vierge qui est assise (catacombes de la Via Latina). Très vite, l'archange Gabriel est muni d'un bâton de messager, et pourvu d'ailes, à l'instar des Victoires et des Génies antiques. Dans la basilique Sainte-Marie-Majeure à Rome, la mosaïque de l'Annonciation (v. s 435) est enrichie de la présence d'anges ailes et nimbes, groupes autour du trône de la Vierge Theotokos, vêtue comme une impératrice. La Vierge tisse la pourpre destinée au voile du Temple, conformément au récit du Protevangile de Jacques (11, 1). La présence de la colombe du Saint-Esprit souligne la valeur eschatologique de la scène. L'archange plane au-dessus du groupe, à la manière d'un Génie. Dés la seconde moitie du VI siècle, un ivoire (Milan, trésor du Dame) apporte une nouveauté appelée à un grand avenir. L’archange vient de la gauche, tandis que Marie apparaît sous forme d'une femme qui va puiser l'eau dans une cruche.
« La Bible et les Saints », Duchet-Suchaux, Pastoureau,

Ci-dessus l'une des plus anciennes version que j'ai pu trouver, qui date de 1300, auteur inconnu.

L'ange commande fermement à Marie, le livre est refermé, le vase rempli de fleurs de lys est au centre, bien en évidence, le verbe se déroule à partir du sexe et Marie fait un petit signe de la main. (OK ? Hello ! Non merci ?)

"L’ange entra et dit : " Je te salue, comblée de grâce ! Le Seigneur est avec toi. " A ces paroles, elle fut toute troublée: elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation. L’ange dit alors : " Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu vas être enceinte, et tu enfanteras un fils auquel tu donneras le nom de Jésus. Il sera grand et sera appelé fils du Très Haut."


Une version de Simone Martini en 1333. Au milieu de l'Art gothique (1200-1430). Ci-dessus et ci-dessous.
L'ange à gauche a un dur regard et Marie à droite semble plutôt apeurée ou pas contente. En bas au centre, toujours bien en évidence, le vase et les fleurs de lys et à noter le livre légérement entr'ouvert...




























Fra Angelico en 1433 et 1435
, un siècle plus tard, au début de la Renaissance (1400-1500). Ci-dessous 2 fois.


L'ange de plus en plus autoritaire et Marie en pleine acceptation, les bras refermés sur sa poitrine, le livre grand ouvert posé sur ses genoux. Le vase a disparu. La colombe fait son apparition et à l'extrème gauche à noter la présence d'Adam et Eve dans la nuit, chassés du paradis.


2 ans plus tard, Fra Angelico ci-dessus représente cette fois un ange beaucoup plus humble et respectueux, la colombe envoyée par Dieu dans un rayon de lumière traverse l'ensemble. Adam et Eve sont toujours chassés du paradis. C'est l'avénement de la nouvelle Eve: Marie. Le passage de l'ancien au nouveau testament.

Rogier Van der Weyden en 1436, dans un riche décor flamand typique de l'époque. Ci-dessous.


L'ange semble en suspension devant la cheminée fermée. Le livre est grand ouvert. Marie semble le bénir. A l'arrière plan, le lit rouge vif est bien rangé et je note la réapparition du vase fleuri, décalé vers la gauche.

Fillipo Lippi en 1460. Le vase reprend le centre et toute son importance... L'ange arrive par la droite mais c'est peut-être une erreur d'impression... ci-dessous


Léonard de Vinci en 1472, avec surtout de la perspective et de la profondeur, le livre ouvert entre l'ange et Marie...


Botticelli en 1489, l'ange a pris la fleur de lys dans sa main et il est à genoux face à Marie qui se tient debout et leurs mains se rejoignent, prêtes à se toucher. La perspective à travers la fenêtre...


Raphael en 1503, la fleur de lys à la main d'un coté et le livre ouvert sur les genoux de l'autre.
De l'espace et de la profondeur. Fin de la Renaissance. Ci-dessous.



Joos Van Cleve en 1525, de l'école dite "Manièriste" (1520 à 1580), avec le vase à droite de Marie posé devant le lit rouge, la bougie fondue au centre dans le petit meuble, le baton fleuronné comme une érection juste au-dessus...


El Greco en 1576, l'ange est à droite sur son petit nuage, de plus en plus manièriste...


Phillippe de Champaigne en 1644, c'est du Baroque (à partir de 1600), qui reste très maniériste, avec le ciel déchiré par la  lumière, qui descend du ciel comme un torrent, les petits anges qui ouvrent les nuages et Gabriel arrive à nouveau par la droite...


Nicolas Poussin en 1655. L'ange à droite encore, semble réaliser un tour de magie surnaturel, Marie est en extase, les yeux fermés, les bras écartés, le livre grand ouvert posé au premier plan et la colombe du saint-esprit plane au-dessus d'elle, royal, délirant, surréaliste avant l'heure, baroque. Ci-dessous.


Viendront ensuite d'autres écoles de peintures:
Le Classicisme (1650-1700), Le Néoclassicisme (1750-1830), Le Romantisme (1770 à 1870),
L'
Académisme
(à partir de 1850) et bien d'autres encore...

Dante Gabriel Rosseti, en 1850, du mouvement préraphaélite.
L'ange a les pieds en feu, il tient une fleur de lys entre ses mains, Marie est couchée dans son lit,
vaguement inquiète, soumise. C'est une vision assez crue de l'annonciation...

 L'angélus de Millet appartient à l'école réaliste et il date de 1858.

Comme pour l'angélus de Millet , l'annonciation présente un couple, le face à face de 2 personnes.
C'est un dialogue, un échange, une rencontre autour de la conception, immaculée, de Jésus.

Un ange face à Marie.

Chaque fois, un objet symbolique les relie l'un à l'autre: Le vase rempli de fleurs de lys, le livre plus ou moins ouvert, le rayon lumineux qui descend du ciel, la colombe du Saint-Esprit, la bougie éteinte, la parole dans un souffle ou sur un ruban...

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8 juin 2009 1 08 /06 /juin /2009 11:47
Le nom de l'auteur déjà: Jean Fournée, qui sonne comme un mauvais jeu de mots, ne pouvait que me plaire. Et le sous-titre énigmatique ensuite:

"Le message de l'ange à Marie"

Jusqu'à lors, je ne connaissais que l'interprétation donnée par Dali: l'enfant mort au centre qui expliquerait le malaise inexplicable qui pourrait expliquer pourquoi ce tableau attire autant...
Sans oublier les connotations sexuelles tout autour:

La fourche plantée,
Le sexe caché sous le chapeau,
La brouette,
La position de la femme 
("L'amante religieuse")

Le sexe et la mort selon Dali. Les amants qui font des enfants d'une part (avec un taux de mortalité infantile très important à l'époque) et d'autre part, Marie, l'immaculée conception, la sainte vierge, le mystère de l'incarnation...

La femme "en sainte"
contre les femmes enceintes
(tout contre)

"Louange de la vierge au début, (les trois ave), il est, à partir de la salutation angélique, méditation sur le mystère de l'incarnation, introduction à celui de la rédemption, affirmation du rôle médiateur de Marie, mère du verbe incarné. En revenant trois fois le jour, de l'aurore au crépuscule, l'Angélus apparaît comme sacralisant le temps... D'où l'importance de la sonnerie." Jean Fournée, dans l'introduction.

L'angélus est une prière mais c'est aussi une sonnerie de cloches,  qui retentissait 3 fois par jour. Matin, midi et soir. Une journée de travail. La vie aux champs... Une certaine idée du bonheur...

Ci-dessous une traduction du texte de la prière de l'angélus, dont la version originale est en latin, à répéter 3 fois par jour.

L’ange du Seigneur porte l’annonce à Marie,
Et elle conçut du Saint-Esprit.


Je vous salue Marie, pleine de grâce. Le Seigneur est avec vous.
Vous êtes bénie entre toutes les femmes et Jésus, le fruit de vos entrailles est béni.
Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort.


Me voici la Servante du Seigneur,
Qu’il me soit fait selon votre parole.


Je vous salue Marie...

Et le Verbe s’est fait chair
Et il a habité parmi nous.


Je vous salue Marie...

Priez pour nous, sainte Mère de Dieu,
Afin que nous devenions dignes des promesses du Christ.


Prions. Que ta grâce, Seigneur, se répande en nos cœurs. Par le message de l’ange, tu nous as fait connaître l’incarnation de ton Fils bien-aimé. Conduis-nous, par sa passion et par sa croix, jusqu’à la gloire de la résurrection. Par Jésus, le Christ, notre Seigneur. Amen.

Une histoire totalement surréaliste donc, le moment où Marie recoit la viste de l'ange Gabriel, qui a été représentée à toutes les époques, de différentes manières. Ici à gauche par Rogier Van der Weyden en 1450: image reproduite en noir et blanc dans le petit livre dont il est ici question.

"L'ange Gabriel est envoyé comme messager, comme ambassadeur de Dieu auprès de Marie. On le voit arriver du ciel et surprenant Marie dans l'intimité de son intérieur, plus précisément à genoux dans sa chambre..."

"...L'ange tient dans sa main gauche, comme preuve de sa mission, son bâton fleuronné de messager... sa main droite esquisse un geste qui a bien sur rapport avec son message."

"Le saint esprit est là, en effet, sous forme de colombe. C'est parfois un rayon colombifère qui se dirige tout droit vers le visage de Marie."

"Dans bien des oeuvres de cette époque, le rayon pénètre dans l'oreille de la vierge... Ne cherchons pas là la référence littérale à l'un des Apocryphes de l'enfance: Le verbe de Dieu pénétra en elle par son oreille et ainsi commença la grossesse de la Sainte Vierge. Ce qui compte, c'est le symbole."


"Dans le rayon qui se dirige de Dieu le père vers la vierge, il y a souvent à la fin du Moyen Age et à la Renaissance, un petit enfant nu: c'est le Christ venant s'incarner. il porte parfois une croix sur son épaule, et même d'autres instruments de la passion."
(Jean Fournée)


Tout y est symbole: le lit rouge écarlate, la couleur des vétements, le livre ouvert, les positions des mains, le verbe qui s'échappe dans un souffle, le rayon de lumière, une colombe ou le petit Jésus qui descendent du ciel, les fleurs de lys dressées dans le vase, entre l'ange et Marie...


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6 juin 2009 6 06 /06 /juin /2009 20:48
Longtemps je me suis amusé avec les jeux de mots, surtout dans ma période "Troupe Folklorique Hilare Moderne", où c'était systématique, de 1988 à 1995, à éditer des petits fascicules photocopiés sur des thèmes variés.

Dans la série "L'art évolution" en 50 épisodes, en 1988, le n° 13, qui avait pourtant été nommé, n'a jamais été édité. Je ne savais alors pas quoi en faire de ce jeu de mot-titre qui me semblait pourtant riche et prometteur...

L'angélus demi-lait (écrémé)

10 plus tard, en 1998 à Lille, j'ai installé un bassin rempli de lait (de la poudre de lait mélangée à de l'eau) d'où sortaient 2 douches alimentées par une pompe à eau plongée dans le bassin, ce qui formait un cycle fermé, un genre de mouvement perpétuel allant en se dégradant. Avec le temps, le lait tend à se transformer en beurre et c'est l'odeur qui est restée dans les mémoires. Quelques mois plus tard, elle était encore imprégnée sur les murs, en l'air, dans l'atmosphère de la petite galerie de Nathalie (Ficheux) chez Richard (Cuvelier)...



Ce fut une expérience unique et éphémère. Stéphane a fimé mais je ne sais pas ce qu'est devenue la K7. Il n'y a pas eu de photos. J'avais édité 2 petits catalogues: l'un avec un résumé de l'ouvrage de Dali "Le mythe tragique de l'Angélus de Millet" et l'autre avec une sélection de 2000 verbes du 1° groupe conjugués au participe passé (2000 é).

J'avais aussi accroché quelques dizaines de reproductions de l'angélus, glanées à des prix dérisoires sur les braderies du Nord-Pas de calais, qui depuis que j'ai déménagé dans le Vaucluse, décorent les murs de ma maison. Toujours la même image, la même structure, la même composition mais à chaque fois, le traitement graphique, les matières, les couleurs, les dimensions, tout est différent....

Ci-dessous une sélection de reproductions classiques, toutes pareilles et pourtant toutes différentes
en couleurs et en noir et blanc.































La dernière pour aujourdhui est à l'envers, ça change un peu.


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